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HISTOIRE DE MA VIE 291

gence que nous fîmes, nous nous y trouvâmes en pleine- nuit, à ce premier voyage avec ma grand'mère. Elle n'était point du tout peureuse, et quand elle avait accompli tout ce que la prudence commandait, si ses précautions étaient déjouées par quelque circonstance imprévue, elle en prenait admirablement son parti. La femme de chambre n'était pas aussi calme, mais elle se gardait bien d'en rien laisser paraître, et elles s'entretenaient toutes les deux du sujet de leurs appréhensions avec beaucoup de philosophie. Je ne sais pourquoi les brigands ne me faisaient aucune peur; mais je fus saisi tout à coup d'une terreur afl'reuse, lorsque j'entendis ma grand'mère dire à mademoiselle Julie : « A présent, les altaques de voleurs ne sont pas très-fréquentes ici, et la forêt est très-élaguée aux bords de la route, en comparaison de ce que c'était avant la Révolution. II y avait un fourré épais et fort peu de fossés, de sorte que l'oa était attaqué sans savoir par qui et sans avoir le temps de se mettre en défense. J'ai eu le bonheur de ne l'être jamais dans mes voyages à Châteauroux, et pourtant M. Dupin était toujours armé en guerre, ainsi que tous s^'s domestiques, pour traverser ce coupe-gorge. Les vols et les meurtres étaient très-fréquents, et on avait une singulière façon de les compter et de les signaler aux voyageurs. Quand les brigands étaient pris, jugés et condamnés, on les pendait aux arbres de la route, à l'endroit même où ils avaient commis le crime : si bien qu'on voyait ici de cha- que côté du chemin, et à des distances très-rapprochées, des cadavres accrochés aux branches et que le vent balan- çait sur votre tête. Quand on faisait souvent la route, on connaissait tous les pendus, et chaque année on pouvait compter les nouveaux, ce qui prouve que l'exemple ne ser- vait pas à grand'chose. Je me souviens d'y avoir vu, un hiver, une grande femme qui est restée entière fort long- temps, et dont les longs cheveux noirs flottaient au vent,