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290 HISTOIRE DE MA VIE

Sologne n'a rien de pareil, du moins dans le rayon que mon œil a embrassé tant de fois sur une étendue de vingt lieues. Tout y est petit et fade, excepté l'horizon vaste et le ciel, contrée toujours belle et vivante.

Mais cette différence entre la Sologne et les autres pays incultes que j'ai vus prouve bien quelque chose. La nature ne s'abjure jamais quand elle est féconde, et puisque les déserts de la Creuse ont de si beaux arbres, de si belles bruyères, et nourrissent un si beau bétail, il est bien cer- tain que le sol est excellent et produirait de grandes ri- chesses avec fort peu de dépenses, tandis que la Sologne aura besoin de temps et de frais considérables avant d'être un pays de rapport secondaire. La Brenne, moins fertile que la Creuse, est pourtant très-supérieure à la Sologne : et que les agriculteurs ne s'y trompent pas, les peintres et les poëtes voient assez bien. Quand la nature leur parle, là où ils ne voient que de la couleur et de la beauté exté- rieure, 11 y a quelque chose de plus, il y a de la fécondité et de la vie au sein de la terre. Celte fécondité se révèle par des plantes parasites, par un luxe inutile, comme une nature généreuse dans l'humanité se révèle par des erreurs lorsqu'elle est privée de direction. Mais, dans les petits es- prits, le vice même est mesquin, comme, dans la Sologne, la fougère et le chardon même sont malades.

Tout ceci soit dit pourtant sans vouloir donner un dé- menti à Eugène Sue, qui doit connaître, dans la Sologne, une autre Sologne que celle que j'ai parcourue.

Traverser la forêt d'Orléans n'est plus rien. Dans mon enfance, c'était encore quelque chose d'imposant et de re- doutable. Les grands arbres ombrageaient encore la route durant un parcours de deux heures, et les voitures y étaient souvent arrêtées par les brigands, accessoires obligés de toutes les émotions d'un voyage. Il fallait hâter les pos- liUons pour y arriver avant la nuit ; mais, quelque dili»