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20 HISTOIRE DE MA VIE

ment apparent de son esprit, d'une portée très-sérieuse, non-seulement pour moi, mais pour tout le monde.

Ainsi je Je vois dès l'enfance traiter le patriciat de cMs> mère et la pauvreté de leçon utile. Souffrant de la révolution jusqu'au fond des entrailles en sentant sous le couteau sa mère adorée, je le vois ne jamais maudire les idées mères de la révolution, et tout au contraire approuver et bénir la chute des privilèges. Je le vois aimer sa patrie comme Tan- crède^ regarder la guerre et la gloire comme la proclama- lion des conquêtes morales de la philosophie, et s'écrier : « Ah! ma mère! qui eût dit à tes amis les philosophes qu'un jour leurs idées feraient de moi, fils de financier, un soldat au service d'une république, et que ces idées seraient à la pointe de nos sabres? » Je le vois plus naïf, plus con- séquent, plus chrétien et plus philosophe encore, aimer une pauvre fi' le enrichie un instant par un malheur plus grand que la pauvreté; reconnaître que son amour l'a purifiée, et lutter contre les plus vives douleurs pour la réhabiliter en dépit du monde. Je le vois pousser le respect et l'amour de la famille jusqu'à briser le cœur de sa mère et le sien propre plutôt que de ne pas légitimer par le mariage les enfants de son amour. Toute cette conduite-là n'est pas d'un athée, et si l'expression est légère et dédaigneuse quand il parle du culte officiel, je vois, au fond de l'âme, les principes tenaces et victorieux de la religion de l'É- vangile.