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HISTOIRE DE MA VIE 289

cette succession d'objets nouveaux tenait mes yeux ouverts et mon esprit tendu.

Il n'y a pourtant rien de plus triste et de plus maus- sade que le trajet de Châteauroux à Orléans. Il faut tra- verser toute la Sologne, pays aride, sans grandeur et sans poésie. Eugène Sue nous a pourtant vanté les beautés in- cultes et les grâces sauvages de cette partie de la France. Il est sincère dans son admiration, car je l'ai entendu en parler comme il en a écrit. Mais, soit que les parties de pays qu'on découvre de la route soient particulièrement laides, soit qu'un pays absolument plat me soit naturelle- ment antipathique, la Sologne, que j'ai traversée cent fois peut-être, à toutes les heures du jour et de la nuit et dans toutes les saisons de l'année, m'a toujours paru mortel- lement maussade et vulgaire. La végétation sauvage y est aussi pauvre que les produits de la culture. Les bois de pins qui commencent à s'élever sont trop jeunes pour avoir du caractère. Ce sont des flaques de vert criard sur un sol incolore. La terre est pâle, les bruyères, l'écorce des arbres rabougris, les buissons, les animaux, les habitants surtout, sont pâles, livides même; malheureux et vaste pays qui se dessèche, insalubre, dans une sorte de marasme moral et physique de l'homme et de la nature.

Les poètes et les peintres se moquent de cela en général et triomphent dans cette désolation, qui, en de certaines contrées, leur fournit des tableaux et des solitudes enchantées. J'avoue qu'il est de ces solitudes si belles qu'il faut se rap- peler la misère de ceux qui y végètent et qui pourraient y vivre, oour souhîUter que la civilisation et la culture vien- nent en détruire la poésie. Mais ce n'est pas en Sologne que j'ai jamais pu être tentée par cette mauvaise pensée. Il y a des landes magnifiques dans la Creuse, vastes ter- rains ondulés, riches de plantes sauvages, semés de flaques d'eau limpide et de bouquets d'arbres séculaires. Mais ïa

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