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288 HISTOIRE DE MA VIE

,1'aimais Hippolyte aussi malgré ses taquineries. Lui aus.si pleurait de rester seul pour la première fois dans cette grande maison. Je le plaignais, j'aurais voulu qu'on l'emmenâl ; mais en somme je n'avais de larmes pour personne, je n'avais que ma mère en tête ; et ma grand'mère, qui pas- sait sa vie à m'étudier, disait tout bas à Deschartres (les enfants entendent tout) : « Cette petite n'est pas si sensible que je l'aurais cru. »

On mettait dans ce temps-là trois grandes journées pour aller à Paris, quelquefois quatre. Et pourtant ma grand'- mère voyageait en poste. Mais elle ne pouvait passer la nuit en voiture, et quand elle avait fait dans sa grande berline vingt-cinq lieues par jour, elle était brisée. Cette voiture de voyage était une véritable maison roulante. On sait de combien de paquets, de détails et de commodités de tout genre les vieilles gens, et surtout les personnes raffinées, se chargeaient et s'incommodaient en voyage. Les innom- brables poches de ce véhicule étaient remplies de provisions de bouche, de friandises, de parfums, de jeux de cartes, de livres, d'itinéraires, d'argent, que sais-je? on eût dit que nous nous embarquions pour un mois. Ma grand'- mère et sa femme de chambre, empaquetées de couvre- pieds et d'oreillers, étaient étendues au fond : j'occupais h banquette de devant, et quoique j'y eusse toutes mes aises j'avais bien de la peine à contenir ma pétulance dans un si petit espace et à ne pas donner de coups de pied à mon vis-à-vis. J'étais devenue très-turbulente dans la vie de Nohant, aussi commençais-je à jouir d'une santé parfaite ; mais je ne devais point tarder à me sentir moins vivante et plus souffreteuse dans l'air de Paris, qui m'a toujours été contraire.

Le voyage ne m'ennuya pourtant pas. C'était la première fois que je n'étais pas accablée par le .sommeil que le rou- lement des voitures provoque dans la première enfance, et