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HISTOIRE DE MA VlË 285

aussi vite. « Voyez donc, disait-elle, comme elle est. douce t't gentille ! » et elle s'applaudissait d'avoir eu si peu de peine à me transformer avec un système tout opposé à celui de ma pauvre mère, tour à tour esclave et tyran.

Mais ma chère bonne maman eut bientôt à s'étonner davantage. Elle voulait être respectée religieusement, et en même temps être aimée avec passion. Elle se rappelait l'en- fance de son fils et se flattait de la recommencer avec moi. Hélas ! cela ne dépendait ni de moi ni d'elle-même. Elle ne tenait pas assez de compte du degré de génération qui nous séparait et de la distance énorme de nos âges. La nature ne se trompe pas ; et malgré les bontés infinies, les bien- faits sans bornes de ma grand'mère dans mon éducation, je n'hésite pas à le dire, une aïeule âgée et infirme ne jieut pas être une mère, et la gouverne absolue d'un jeune enfant par une vieille femme est quelque chose qui con- trarie la nature à chaque instant. Dieu sait ce qu'il fait en arrêtant à un certain âge la puissance de la maternité. Il faut au petit être qui commence la vie un être jeune et encore dans la plénitude de la vie. La solennité des ma- nières de ma grand'mère me contristait l'âme. Sa chambre sombre et parfumée me donnait la migraine et des bâille- ments spasmodiques. Elle craignait le chaud, le froid, un vent coulis, un rayon de soleil. Il me semblait qu'elle m'enfer- mait avec elle dans une grande boîte quand elle me disait : Amusez-tious tranquillement. Elle me donnait des gravures à regarder, et je ne les voyais pas, j'avais le vertige. Un chien qui aboyait au dehors, un oiseau qui chantait dans le jardin, me faisaient tressaillir. J'aurais voulu être le chien ou l'oiseau. Et quand j'étais au jardin avec elle, bien qu'elle n'exerçât sur moi aucune contrainte, j'étais enchaî- née à ses côtés par le sentiment des égards qu'elle avait déjà su m'inspirer. Elle marchait avec peine, je me tenais tout près pour lui ramasser sa tabatière ou son gant qu'elle