Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/293

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 283

l'enfant est un petit monde déjà aussi bizarre et aussi inconséquent que celui de l'homme. Je trouvais ma grand'* mère plus sévère et plus effrayante dans sa douceur que ma mère dans ses emportements. Jusque-là^ je l'avais aimée et m'étais montrée confiante et caressante avec elle. De ce moment, et cela dura bien longtemps après, je me sentis froide et réservée en sa présence. Ses caresses me gênaient ou me donnaient envie de pleurer, parce qu'elles me rappelaient les étreintes plus passionnées de ma petite mère. Et puis ce n'était pas avec elle une vie de tous les instants, une familiarité, une expansion continuelles. Il fallait du respect, et cela me semblait glacial. La terreur que ma mère me causait parfois n'était qu'un instant dou- loureux à passer. L'instant d'après j'étais sur ses genoux, sur son sein, je la tutoyais, tandis qu'avec la bonne maman c'étaient des caresses de cérémonie, pour ainsi dire. Elle m'embrassait solennellement et comme par récompense de ma bonne conduite; elle ne me traitait pas assez comme un enfant, tant elle souhaitait me donner de la tenue et me faire perdre l'invincible laisser-aller de ma nature, que ma mère n'avait jamais réprimé avec persis- tance. Il ne fallait plus se rouler par terre, rire bruyam- ment, parler berrichon. Il fallait se tenir droite, porter des gants, faire silence ou chuchoter bien bas dans un coin avec Ursulette. A chaque élan de mon organisation on opposait une petite répression bien douce, mais assidue. On ne me grondait pas, mais on me disait vous, et c'était tout dire. « Ma fille, vous vous tenez comme une bossue ; ma fille, vous marchez comme une paysanne ; ma fille, vous avez encore perdu vos ganls ! ma fille, vous êtes trop grande pom faire de pareilles choses. » Trop grande ! j'avais sept ans, ct'criv ne m'avait jamais dit que j'étais grande. Cela me faisai» une peur affreuse, d'être devenue tout à coup si grande depuis le départ de m» mf're. Et puis, il fallait