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282 HISTOIRE DE MA VIE

plus patient au monde que Catherine. Elle tolérait, elle admirait même naïvement toutes mes sottises. Elle m'a horriblement gâtée et je ne m'en plains pas, car je o'^ <ie- vais pas l'être longtemps par mes bonnes, et j'eus bientôt à expier la tolérance et la tendresse dont je n'avais pas assez senti le prix.

Elle me quitta en pleurant, bien que ce fût pour un mari excellent, d'une belle figure, d'une grande probité, intelli- gent et riche par-dessus le marché, société bien préférable à celle d'un enfant pleureur et fantasque ; mais le bon cœur de cette fille ne calculait pas et ses larmes me don- nèrent la première notion de l'absence. « Pourquoi pleures- tu ? lui disais-je ; nous nous reverrons bien ! — Oui, me disait-elle, mais je m'en vas à une grande demi-lieue d'ici, et je ne vous reverrai pas tous les jours. »

Cela me fit faire des réflexions et je commençai à me tourmenter de l'absence de ma mère. Je ne fus pourtant alors que quinze jours séparée d'elle, mais ces quinze jours sont plus distincts dans ma mémoire que les trois années qui venaient de s'écouler, et même peut-être que les trois années qui suivirent et qu'elle passa encore avec moi. Tant il est vrai que la douleur seule marque dans l'enfance le sentiment de la vie.

Pourtant il ne se passa rien de remarquable durant ces quinze jours. Ma grand'mère, s'apercevant de ma mélan- colie, s'efforçait de me distraire par le travail. Elle me donnait mes leçons et se montrait beaucoup plus indulgente que ma mère pour mon écriture et pour la récitation de mes fables. Plus de réprimandes, plus de punitions. Elle en avait toujours été fort sobre, et, voulant se faire aimer, elle me uunnait plus d'éloges, d'encouragements et de bon- bons que de coutume. Tout cela eût dû me semûler fort doux, car ma mère était rigide et sans miséricorde pour mes langueurs et mes disliactions. Eh bien, le cœur de