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aucun compte des dimanches, et filait sa quenouille ce jour- là avec autant d'activité que dans la semaine, bien que l'observation du chômage soit une des plus rigoureuses ha- bitudes du paysan de la vallée Noire. Cette vieille avait-elle servi quelque seigneur de village voltairien et philosophe? Je ne sais.

J'ai oublié son nom, mais non l'aspect imposant du châ- teau tel qu'il a été encore plusieurs années après cette épo- que. C'était un redoutable manoir, bien entier et très-ha- bitable, quoique dégarni de meubles. Il y avait des salles immenses, des cheminées colossales et des oubliettes qu,* je me rappelle parfaitement. Ce château est célèbre dans l'histoire du pays. Il était le plus fort de la province, et longtemps il servit de résidence aux princes du pays du bas Berry. Il a été assiégé par Philippe-Auguste en personne, et plus tard il fut encore occupé par les Anglais et repris sur eux à l'époque des guerres de Charles VII. C'est un grand carré flanqué de quatre tours énormes. Le proprié- taire, lassé de l'entretenir, voulut l'abattre pour vendre les matériaux. On réussit à enlever la charpente et à effondrer toutes les cloisons et nmrailles intérieures. Mais on ne put entamer les tours bâties en ciment romain, et les chemi- nées furent impossibles à déraciner. Elles sont encore debout, élevant leurs longs tuyaux à quarante pieds dans les airs, sans que jamais, depuis trente ans, la tempête ou la gelée en ait détaché une seule brique. En somme, c'est une ruine magnifique et qui bravera le temps et les hommes pendant bien des siècles encore. La base est de construction romaine, le corps de l'édifice est des premiers temps de la féoda- lité.

C'était un voyage alors que d'aller à Saint-Chartier. Les chemins étaient impraticables pendant neuf mois de l'année. 11 fallait aller par les sentiers des prairies, ou se risquer avec le pauvre âne, qui resta plus d'une fois planté dans