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HISTOIRE DE MA VIE 279

de deux pieds de haut dans le bassin formé par la terrine offrit une nappe cristalline qui dura deux ou trois minutes et s'arrêta... lorsque toute l'eau du vase que ma bonne, cachée derrière la grotte, versait dans le tuyau de sureau fut épuisée, et que débordant de la terrine, ïonde pure eut copieusement arrosé les fleurs plantées sur ses bords. L'il- lusion fut donc de courte durée, mais elle avait été com- plète, délicieuse, et je ne crois pas avoir éprouvé plus de surprise et d'admiration quand j'ai vu par la suite les grandes cataractes des Alpes et des Pyrénées.

Quand la grotte eut atteint son dernier degré de perfec- tion, comme ma grand'mère ne l'avait pas encore vue, nous allâmes solennellement la prier de nous honorer de sa visite dans le petit bois, et nous disposâmes tout pour lui donner la surprise de la cascade. Nous nous imaginions qu'elle serait ravie ; mais, soit qu'elle trouvât la chose trop puérile, soit qu'elle fût mal disposée pour ma mère ce jour-là, au Heu d'admirer notre chef-d'œuvre, elle se mo- qua de nous, et la terrine servant de bassin (nous avions pourtant mis des petits poissons dedans pour lui faire fêle) nous attira plus de railleries que d'éloges. Pour mon compte, j'en fus consternée; car rien au monde ne me paraissait plus beau que notre grotte enchantée et je souffrais réelle- ment quand on s'efforçait de m'ôter une illusion.

Les promenades à âne nous niellaient toujours en grande joie ; nous allions à la messe tous les dimanches sur ce pa- triarche des roussins, et nous portions notre déjeuner, pour le manger après la messe, dans le vieux château de Saint- Chartier qui touche à l'église. Ce château était gardé par une vieille femme qui nous recevait dans les vastes salles abandonnées du vieux manoir, et ma mère prenait plaisir à y passer une partie de la journée. Ce qui me frappait le plus, c'était l'apparence fantastique de la vieille femme, qui était pourtant une véritable paysanne, mais qui ne tenait