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HISTOIRE DE MA VIE 275

ramener à moi-même. Je ne t^ais si ce fut pour donaer un aliment à mon imagination trop excitée qu'elle imagina elle-même une création puérile, mais ravissante pour moi et qui a fait longtemps mes délices. Yoici ce que c'était.

Il y a dans notre enclos un petit bois planté de char- milles, d'érables, de frênes, de tilleuls et de lilas. Ma mère choisit un endroit oij une allée tournante conduit à une sorte d'impasse. Elle pratiqua, avec l'aide d'Hippolyte, de ma bonne, d'Ursule et de moi, un petit sentier dans le fourré, qui était alors fort épais. Ce sentier fut bordé de violettes, de primevères et de pervenches qui depuis ce temps-là ont tellement prospéré, qu'elles ont envahi presque tout le bois. L'impasse devint donc un petit nid oii un banc fut établi sous les lilas et les aubépines, et l'on allait étudier et répéter là ses leçons pendant le beau temps. Ma mère y portait son ouvrage, et nous y portions nos jeux, surtout nos pierres et nos briques pour construire des mai- sons, et nous donnions à ces édifices, Ursule et moi, des noms pompeux. C'était le château de la fée, c'était le palais de la Belle au bois dormant, etc. Voyant que nous no venions pas à bout de réaliser nos rêves dans ces construc lions grossières, ma mère quitta un jour son ouvrage et so mit de la partie. « Otez-moi, nous dit-elle, vos vilaines jjierres à chaux et vos briques cassées. Allez me chercher des pierres bien couvertes de mousse, des cailloux roses, verts, des coquillages, et que tout cela soit joli, ou bien je ne m'en mêle pas. »

Voilà notre imagination allumée. Il s'agit de ne rien rapporter qui ne soit joli, et nous nous mettons à la re- cherches de CCS trésors que jusque-là nous avions foulés aux pieds sans les connaître. Que de discussions avec Ursule pour savv^ir si cette mousse est assez veloutée, si ces pierres ont une i'orme heureuse, si ces cailloux sont assez brillants! D'abord tout nous avait paru bon, mais bientôt la compa-