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274 HISTOIRE DE MA VIE

J'écoutais d'abord attentivement. J'étais assise aux pieds de ma mèi'e, devant le feu, et il y avait entre le feu et moi un vieux écran à pieds garni de laifetas vert. Je voyais un peu le feu à travers ce taffetas usé, et il y produisait de petites étoiles dont j'augmentais le rayonnement en clignant les yeux. Alors peu à peu je perdais le sens des phrases que lisait ma mère ; sa voix me jetait dans une sorte d'assoupissement moral, où il m'était impossible de suivre une iicc. Des images se dessinaient devant moi et venaient se fixer sur l'écran vert. C'étaient des bois, des prairies, des rivières, des villes d'une architecture bizarre et gigan- tesque, comme j'en vois encore souvent en songe ; des palais enchantés avec des jardins comme il n'y en a pas, avec des milliers d'oiseaux d'azur, d'or et de pourpre, qui vol- tigeaient sur les fleurs et qui se laissaient prendre comme les roses se laissent cueillir. Il y avait des roses verbes, noires, violettes, des roses bleues surtout. 11 paraît que la rose bleue a été longtemps le rêve de Balzac. Elle était aussi le mien dans mon enfance, car les enfants, comme les poëtes, sont amoureux de ce qui n'existe pas. Je voyais aussi des bosquets illuminés, des jets d'eau, des profondeurs mystérieuses, des jonts chinois, des arbres couverts de fruits d'or et de pierreries. Enfin, tout le monde fantas- tique de mes contes devenait sensible, évident, et je m'y perdais avec délices. Je fermais les yeux, et je le voyais encore; mais quand je les rouvrais, ce n'était que sur l'écran que je pouvais le retrouver. Je ne sais quel travail de mon cerveau avait fixé là cette vision plutôt qu'ailleurs; mais il est certain que j'ai contemplé sur cet écran vert des merveilles inouïes. Un jour ces apparitions devinrent si complètes que j'en fus comme effrayée et que je deman- dai à ma mère si elle ne les voyait pas. Je prétendais qu'il y avait de grandes montagnes bleues sur l'écran, et elle me secoua sur ses genoux en chantant pour me