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HISTOIRE DE MA VIE 273

et dans mon existence, et si les livres ont fait de l'effet sur moi, c'est que leurs tendances ne faisaient que continuer et consacrer les miennes.

Pourtant les princesses et les rois des contes de fées firent longtemps mes délices. C'est que, dans mes rêves d'enfant, ces personnages étaient le type de l'aménité, de la bienfaisance et de la beauté. J'aimais leur luxe et leurs parures, mais tout cela leur venait des fées, et ces rois-là n'ont rien de commun avec les rois véritables. Ils sont traités d'abord fort cavalièrement par les génies, quand ils se conduisent mal, et à cet égard ils sont soumis à une justice plus sévère que celle des peuples.

Les fées et les génies ! Où étaient-ils, ces êtres qui pou- vaient tout, et qui, d'un coup de baguette, vous faisaient entrer dans un monde de merveilles? Ma mère ne voulut jamais me dire qu'ils n'existaient pas, et je lui en sais main- tenant un gré infini. Ma grand'mère n'y eût pas été par quatre chemins si j'avais osé lui faire les mêmes questions. Toute pleine de Jean- Jacques et de Voltaire, elle eût démoli sans remords et sans pitié tout l'édifice enchanté de mon ima- gination. Ma mère procédait autrement. Elle ne m'affirmait rien, elle ne niait rien non plus. La raison venait bien assez vite à son gré, et déjà je pensais bien par moi-même que mes chimères ne se réaliseraient pas; mais si la porte de l'espérance n'était plus toute grande ouverte comme dans les premiers jours, elle n'était pas encore fermée à clef, il m'était permis de fureter autour et de tâcher d'y trouver une petite fente pour regarder à travers. Enfin je pouvais encore rêver tout éveillée, et je ne m'en faisais pas faute.

Je me souviens que, dans les soirs d'hiver, ma mère nous lisait tantôt du Berquin, tantôt les Veillées du château, par madame de Genlis, et tantôt d'autres fragments de livres à notre portée, mais dont je ne me souviens plus.