HISTOIRE DE MA VIE 26?
On dressa des planches sur des tonneaux, les acteurs, qui étaient Hippolyte, Ursule et moi, n'ayant pas la taille assei élevée pour toucher au plafond malgré cet exhaussement du sol. C'était une espèce de théâtre de marionnettes, mais il était ch'^rmant. Mon grand-oncle découpa, colla et peignit lui-même les décors. 11 fit la pièce et nous enseigna nos rôles, nos couplets et nos gestes. 11 se chargea de l'emploi de souffleur, Deschartres avec son flageolet fit office d'or- chestre. On s'assura que je n'avais pas oublié le boléro es- pagnol, quoique depuis près de trois ans on ne me l'eût pas fait danser. Je fus donc chargée à moi seule de la partie du ballet, et le tout réussit à merveille. La pièce n'était ni longue ni compliquée. C'était un à-propos des plus naïfs, et le dénoùment était la présentation d'un bou- quet à Marie. Hippolyte, comme le plus âgé et le plus savant, avait les plus longues tirades. Mais quand l'auteur vit que la meilleure mémoire de nous trois était celle d'Ur- sule et qu'elle avait un singulier phiisir à déguiser son rôle avec aplomb, il allongea ses répliques et montra notre babiilarde drôlette sous son véritable aspect. C'est ce qu'il y eut de meilleur dans la pièce. Elle y conservait son sur- no:n de Caquet bon bec, et y adressait à la bonne maman un compliment de longue haleine et des couplets qui ne finissaient pas.
Je ne dansai pas mon boléro avec moins d'assurance. La timidité et la gaucherie ne m'étaient pas encore venues, el je me souviens que Deschartres m'impatientant, parce que, .soit émotion, soit incapacité, il ne jouait ni juste ni dans le rhythme, je terminai le ballet par une improvisation d'entrechats et de pirouettes qui fit rire ma grand'mère aux éclats. C'était tout ce que l'on voulait, car il y avait envi- ron trois ans que la pauvre femme n'avait souri. Mais tout à coup, comme ofirayée d'elle-même, elle fondit en larmes, Vt l'on se hûla de me prendre par les pattes au milieu de
