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266 HISTOIRE DE MA VIE

jugeait bien et la traitait comme un enfant de bon cœur et de mauvaise tête, la grondant, la consolant, la défendant avec énergie quand on était injuste envers elle, la répri- mandantavecsévéritéquandelle était injusteenvers les autres. U fut toujours un médiateur équitable, un conciliateur per- suasif entre elle et ma grand'mère. Il la préservait des boutades de Deschartres en donnant tort ouvertement à celui-ci, sans que jamais il pût se fâcher ni se révolter contre le protectorat ferme et enjoué du grand-oncle.

La légèreté de cet aimable vieillard était donc un bienfait au milieu de nos amertumes domestiques, et j'ai souvent remarqué que tout est bon dans les personnes qui sont bonnes, même leurs défauts apparents. On s'imagine d'a- vance qu'on en souffrira, et puis il arrive peu à peu qu'on en profite, et que ce qu'elles ont en plus ou en moins dans un certain sens corrige ce que nous avons en moins ou en plus dans le sens contraire. Elles rendent l'équilibre à notre vie, et nous nous apercevons que les tendances que nous leur avons reprochées étaient très-nécessaires pour com- battre l'abus où l'excès des nôtres.

La sérénité et l'enjouement du graiid-oncle parurent donc un peu choquants dans les premiers jours. Il regrettait pourtant très-sincèrement son cher Maurice; mais il voulait distraire ces deux femmes désolées, et il y parvint.

Bientôt on ressuscita un peu avec lui. Il avait tant d'es- prit, tant d'activité dans les idées, tant de grâce à raconter, à railler, à anmser les autres en s'amusanl lui-même qu'il était impossible d'y résister. Il imagina de nous faire jouer la comédie pour la fête do ma grand'mère, et cette surprise lui fut ménagée de longue main. La grande pièce qui servait d'antichambre à la chambre de ma mère, et dans laquelle ma grand'mère, qui ne montait presque jamais l'escalier, ne risquait guère de surprendre nos apprêts, fui convertie en salle de spectacle-