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HISTOIRE DE MA VIE 265

ligne, un léger pli, un rien, qui constitue la dissemblance. Mais ce rien est tout ! »

Ce que Lavater disait à propos des différences dans la réalité physique est encore plus vrai quand on l'applique à la vérité relative dans les arts. La musique n'est pas de l'harmonie imitative, du moins l'harmonie imitative n'est pas de la musique. La couleur en peinture n'est qu'une interprétation, et la reproduction exicte des tons réels n'est pas de la couleur. Les personnages de roman ne sont donc pas des figures ayant un modèle existant. Il faut avoir connu mille personnes pour en peindre une seule. Si on n'en avait étudié qu'une seule et qu'on voulût en faire un type exact, elle ne ressemblerait à rien et ne paraîtrait pas possible.

J'ai fait cette digression pour n'y pas revenir plus tard : elle n'est même pas nécessaire au rapprochement qu'on pourrait faire entre mon oncle de Beaumont et mon cha- noine de Consuelo, car j'ai peint un chanoine chaste, et mon grand-oncle se piquait de tout le contraire. 11 avait eu de très-belles aventures et il eût été bien fâché de n'en point avoir. Il y avait mille autres différences que je n'ai pas besoin d'indiquer, ne fût-ce que celle de la gouvernante de mon roman, qui n'a pas le moindre trait de la gou- vernante de mon grand-oncle. Celle-ci était dévouée, sin- cère, excellente. Elle lui a fermé les yeux, et elle a hérité de lui, ce qui lui était bien dû, et pourtant mon oncle lui parlait quelquefois comme le chanoine parle à dame Brigitte dans mon roman. Il n'y a donc rien de moins réel que ce qui paraît le plu? vrai dans un ouvrage d'art.

Mon grand-oncle n'avait à l'égard des femmes aucurie espèce de préjugés. Pourvu qu'elles fussent belles et bonnes, il ne leur demandait compte ni de leur naissance, ni de leur passé. Aussi avait-il entièrement accepté ma mère, et il lui témoigna toute sa vie une uft'ecliua paternelle. Il la