264 HISTOIRE DE MA VIE
parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d'idéal de la vie ^.
C'est donc une bêtise que de croire qu'un auteur ait voulu faire aimer ou haïr telle ou telle personne en donnant à ses personnages quelques traits saisis sur la nature ; la moindre différence en fait un être de convention, et je soutiens qu'en littérature, on ne peut faire d'une figure réelle une peinture vraisemblable sans se jeter dans d'énor- mes différences et sans dépabser extrêmement, en bien ou en mal, les défauts et les qualités de l'être humain qui a pu servir de premier type à l'imagination. C'est absolument comme le jeu des acteurs, qui ne paraît vrai sur la scène qu'à la condition de dépasser ou d'atténuer beaucoup la réalité. Caricature ou idéalisation, ce n'est plus le modèle primitif, et ce modèle a peu de jugement s'il croit se recon- naître, s'il prend du dépit ou de la vanité en voyant ce que l'art ou la fantaisie ont su faire de lui.
Lavater disait (ce ne sont pas ses expressions, mais c'est sa pensée) : « On oppose à mon système un argument que ie nie. On dit qu'un scélérat ressemble parfois à un hon oête homme, et réciproquement. Je réponds que si on se trompe à celte ressemblance, c'est qu'on ne sait pas obser- ver, c'est qu'on ne sait pas voir. Il peut exister certaine- ment entre l'honnête homme et le scélérat une ressemblance vulgaire, apparente ; il n'y a peut-être même qu'une petite
i. Cette opinion, prise dans un sens absolu, serait très-contes- table. On s'efforce, en ce moment, de fonder une école de réalisme qui sera un progrès si elle n'outre-passe pas son but et ne devient pas trop systématique. Mais, dans les ouvrages que j'ai lus, dans ceux de M. Champfleury, entre autres, le réalisme e^t encore poé- tisé suffisamment pour donner raison à la courte tln'orie que j'exposj. Je suis heureuse d'avoir cette occasion de dire que je trouve ravissante la manière de M. Champfleury, réaliste ou non.
[Note de ^834.
