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d 'S siennes. E'ie courait tout le long de la bordure, appe- lant tous les Silènes et toutes les autres bacchantes qui étaient attablés ou occupés à se divertir dans les médail- lons, et elle les forçait îi danser avec elle et à casser tous les meubles de la chambre.

Peu à peu le rêve devint très-confus, et j'y pris une sorte de plaisir. Le matin, à mon réveil, je vis la bacchante au lieu de la nymphe vis-à-vis de moi, et comme je ne me rendais plus compte de la nouvelle place que mon lit oc- cupait dans la chambre, je crus un instant qu'en retour- nant à leurs médaillons, les deux petites personnes s'étaient trompées et avaient changé de porte ; mais cette hallucina- tion se dissipa aux premiers rayons du soleil, et je n'y pensai plus de la journée.

Le soir, mes préoccupations revinrent, et il en fut ainsi pondant fort longtemps. Tant que durait le jour, il m'était impossible de prendre au sérieux ces deux figurines colo- riées dans le papier, mais les premières ombres de la nuit troublaient mon cerveau et je n'osais plus rester seule dans la chambre. Je ne le disais pas, car ma grand'mère raillait lu poltronnerie et je craignais qu'on ne lui racontât ma sottise; mais j'avais presque huit ans que je ne pouvais pas encore regarder tranquillement la bacchante avant de m'en- dormir. On ne s'imagine pas tout ce que les enfants por- tent de bizarreries contenues et d'émotions cachées dans leur petite cervelle.

Le séjour à Nohant de mon grand-oncle l'abbé de Beau- mont fut pour mes deux mèies une grande consolation, une sorte de retour à la vie. C'était un caractère enjoué, un peu insouciant, comme le sont les vieux garçons, un esprit re- marquable, plein de ressources et de fécondité, un caractère à la fois égoïste et généreux ; la nature l'avait fait sensible et ardent, le célibat l'avait rendu personnel; mais sa per- sonnalité était si aimable, si gracieuse et si séduisante^