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HISTOIRE DE MA VIE 261

sonne ne se doutait pourtant de ma prévention contre elle, l'hiver étant venu, ma mère changea mon lit de place pou^ le rapprocher do la cheminée, et de là je tournais le dos à ma nymphe bien-aimée pour ne voir que la mc;;ade re- doutable. Je ne me vantai pas de ma faiblesse, je commen- çais à avoir honte de cela ; mais comme il me semblait que cette diablesse me regardait obstinément et me mena- çait de son bras immobile; je mis ma tête sous les couver- tures pour ne pas la voir en m'endormant. Ce fut inutile, au milieu de la nuit elle se détacha du médaillon, se glissa le long de la porte, devint aussi grande qu'une personne 7iaturelle^ comme disent les enfants, et, marchant à la porte d'en face, elle essaya d'arracher la jolie nymphe de son médaillon. Celle-ci poussait des cris déchirants ; mais la bacchante ne s'en souciait pas. Elle tourmenta et déchira le papier jusqu'à ce que la nymphe s'en détacha et s'enfuit au milieu de la chambre. L'autre l'y poursuivit, et la pauvre nymphe échevelée s'étant précipitée sur mon lit pour se ca- cher sous mes rideaux, la bacchante furieuse vint vers moi et nous perça toutes deux de son thyrse, qui était devenu une lance acérée, et dont chaque coup était pour moi une bles- sure dont je sentais la douleur.

Je criai, je me débattis, ma mère vint à mon secours; mais tandis qu'elle se levait, bien que je fusse assez éveil- lée pour le constater, j'étais encore assez endormie pour Voir la bacchante. Le réel et le chimérique étaient simul- tanément devant mes yeux, et je vis distinctement la bacchante s'atténuer, s'éloigner, à mesure que ma mère s'approchait d'elle, devenir j etite comme elle l'était dans son médaillon, grimper le long de la porte comme eût fait une souris et se replacer dans son cadre de feuil- les de vigne, oili elle reprit sa pose accoutumée et son air grave.

Je me rendormis, et je vis cette folle qui faisait encore