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et les ornements qui entouraient les panneaux. Cette bor- dure était large d'un pied et représentait une guirlande de feuilles de vigne s'ouvrant par intervalles pour enca- drer une suite de médaillons où l'on voyait rir-^, boire et danser des silènes et des bacchantes. Au-dessus de chaque porte il y avait un médaillon plus grand que les autres, représentant une figurine, et ces figurines me paraissaient incomparables. Elles n'étaient pas pareilles. Celle que je voyais le matin en m'éveillant était une nymphe ou une Flore dansante. Elle était vêtue de bleu pâle, cou- ronnée de roses, et agitait dans ses mains une guirlande de fleurs. Celle-là me plaisait énormément. Mon premier regard, le matin, était pour elle. Elle semblait me rire et m'inviter à me lever pour aller courir et folâtrer en sa compagnie.

Celle qui lui faisait vis-à-vis et que je voyais, le jour de ma table de travail, et le soir, en faisant mes prières avant d'aller me coucher, était d'une expression toute dif- iérente, elle ne riait ni ne dansait. C'était une bacchante grave. Sa tunique était verte, sa couronne était de pampres, et son bras étendu s'appuyait sur un thyrse. Ces deux figures représentaient peut-être le Printemps et l'Automne. Quoi qu'il en soit, ces deux personnages, d'un pied de haut environ, me causaient une vive impression. Ils étaient peut-être aussi pacifiques et aussi insignifiants l'un que l'autre; mais, dans mon cerveau, ils offraient le contraste bien tranché de la gaieté et de la tristesse, de la bienveillance et de la sévérité. Je regardais la bacchante avec étonnement, j'avais lu l'histoire d'Orphée déchiré par CCS cruelles, et le soir, quand la lumière vacillante éclai- rait le bras étendu et le thyrse, je croyais voir la tête du divin chantre au bout d'un javelot.

Mon petit lit était adossé à la muraille de manière que j© ne visse peint cette figure qui me tourmentait. Comm^ per-