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HISTOIRE DE MA VIE 257

je devenais réellement la victime de son système, qui^ était de donner de l'éniétique à tout propos. 11 était habile chirurgien, mais il n'entendait rien à la médecine et ap- pliquait ce maudit émétique à tous les maux. C'était sa panacée universelle. J'étais et j'ai toujours été d'un tempé- rament trèa-bilieux, mais si j'avais toute la bile dont Deschartres prétendait me débarrasser, je n'aurais jamais pu vivre. Éiais-je pâle, avais-je mal à la tête, c'était la bile, et vite l'éniétique, qui produisait chez moi d'affreuses convulsions sans vomissements et qui me brisait pour plu- sieurs jours. De son côté, ma mère croyait aux vers, c'était encore une préoccupation de la médecine dans ce temps-là. Tous les enfants avaient des vers et on les bour- rait de vermifuges, affreuses médecines noires qui leur causaient des uausées et leur ôtaient l'appétit. Alors, pour rendre l'appétit, on administrait la rhubarbe. Et puis, avais-je une piqûre de cousin, ma mère croyait voir repa- raître la gale, et le soufre était de nouveau mêlé à tous mes aliments. Enfin c'était une droguerie perpétuelle, et il faut que la génération à laquelle j'appartiens ait été bien fortement constituée pour résister à tous les soins qu'on a pris pour la conserver.

C'est vers l'âge de cinq ans que j'appris à écrire. Ma mère me faisait faire de grandes pages de bâtons et de jam- bages. Mais, comme elle écrivait elle-même comme un chat, j'aurais barbouillé bien du papier avant de savoir signer mon nom, si je n'eusse pris le parti de chiVcher moi-même un moyen d'exprimer ma pensée par des signes quelconques. Je me sentais fort ennuyée de copier tous les jours un alphabet et de tracer des pleins et des déliés en caractères d'affiche. J'étais impatiente d'écrire des phrases, et, dans mes récréations, qui étaient longues comme on peut croire, je m'exerçais à écrire des lettres à Ursule, à Hippolyte et à ma mère. Mais je ne les montrais pas,