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25G HISTOIRE DE MA VIE

épouvantable et lui dit en jetant ses cartes sur la table : « On devrait vous les jeter au nez pour vous apprendre à gagner eu jouant si mal! » Ma mère se leva tout en colère et allait répondre, lorsque ma bonne maman dit avec son grand air calme et sa voix douce : « Descharlres, si vous faisiez une pareille chose, je vous assure que je vous donnerais un grand soufflet. »

Celte menace d'un soufïlet, faite d'un ton si paisible, et d'un grand soufflet, venant de cette belle main à demi para- lysée, si faible qu'elle pouvait à peine soutenir ses cartes, était la chose la plus comique qui se puisse imaginer. Aussi ma mère partit d'un rire inextinguible et se rassit, inca- pable de rien ajouter à la stupéfaction et à la mortification du pauvre pédagogue.

Mais cette anecdote eut lieu bien longtemps après la mort de mon père, 11 se passa de longues années avant qu'on entendît dans cette maison en deuil d'autres rires que ceux des enfants.

Pendant ces années, une vie calme et réglée, un bien- être physique que je n'avais jamais connu, un air pur que j'avais rarement respiré à pleins poumons, me fireni peu à peu une santé robuste, et l'excitation nerveuso ces- sant, mon humeur devint égale et mon caractère enjoué. On s'aperçut que je n'étais pas un enfant plus méchant qu'un autre; et la plupart du temps, il est certain que les enfants ne sont acariâtres et fantasques que parce qu'ils souffrent sans pouvoir ou sans vouloir le dire.

Pour ma part, j'avais été si dégoûtée par les remèdes, et, à cette époque, on en faisait un tel abus, que j'avais pris l'habitud'^ de ne jamais me plaindre de mes petites indispositions, et je me souviens d'avoir été souvent près de m'évanouir au milieu de mes jeux et d'avoir lutté avec un stoïcisme que je n'aurais peut-être pas aujourd'hui C'est que quand j'étais remise à la science de Deschartres,