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HISTOIRE DE MA VIE 255

Deschartres, il faut bien le dire, était le principal obstacle, à leur complet rapprochement. Il ne put jamais prendre son parti là-dessus, et il ne laissait pas tomber la moindre occasion de raviver les anciennes douleurs. C'était sa des- tinée. II a toujours été rude et désobligeant pour les êtres qu'il chérissait, comment ne l'eùt-il pas été pour ceux qu'il haïssait? Il ne pardonnait pas à ma mère de l'avoir em- porté sur lui dans l'influence à laquelle il prétendait sur l'esprit et le cœur de son cher Maurice. II la contredisait et essayait de la molester à tout propos; et puis il s'en repentait et s'efforçait de réparer ses grossièretés par des prévenances gauches et ridicules. Il semblait parfois qu'il fût amoureux d'elle. Et qui sait s'il ne l'était pas? Le cœur humain est si bizarre et les hommes austères si inflam- mables! Mais il eût dévoré quiconque le lui eût dit. Il avait la prétention d'être supérieur à toutes les faiblesses humaines. D'ailleurs ma mère recevait si mal ses avances et lui faisait expier ses torts par de si cruelles railleries, que l'ancienne haine lui revenait toujours, augmentée de tout le dépit des nouvelles luttes.

Quand on paraissait au mieux ensemble et que Deschartres faisait peut-être tous ses efforts pour se rendre moins maussade, il essayait d'être taquin et gentil, et Dieu sait conane il s'y entendait, le pauvre honnne! Alors ma mère se moquait de lui avec tant de malice et d'esprit qu'il perdait la lête, devenait brutal, blessant, et que ma grand'-mère était obligée de lui donner tort et de le faire taire.

Ils jouaient aux cartes le soir, tous les trois, et Des- chartres, qui prétendait exceller dans tous les jeux et qui les jouait (ous fort mal, perdait toujours. Je me souvien:^ qu'un soir, exaspéré d'être gagné obstinément par ma mère, qui ne calculait rien, mais qui, par instinct et par inspi- ration, était toujours heureuse, il entra dans une fureur