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HISTOIRE DE MA VIE 253

prudente, et qu'on a plus peur de les blesser qu'ils n'ont . peur pour eux-mêmes. Cette lois, comme les autres, ma mère me voyant désespérée de son courroux, me fit mille caresses pour me consoler. Elle aurait eu tort peut-être avec certains enfants orgueilleux et vindicatifs; mais elle avait raison avec moi qui n'ai jamais connu la rancune et qui trouve encore qu'on se punit soi-même en ne par- donnant pas à ceux qu'on aime.

Pour en revenir aux rapports qui s'établirent entre ma mère et ma grand'mère après la mort de mon père, je dois dire que l'espèce d'antipathie naturelle qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre ne fut jamais qu'à demi vaincue, ou plutôt elle fut vaincue entièrement par intervalles, suivis de réactions assez vives. De loin, elles se haïssaient toujours et ne pouvaient s'empêcher de dire du mal l'une de l'autre. De près, elles ne pouvaient s'empêcher de se plaire ensemble, car chacune avait en elle un charme puissant, tout opposé à celui de l'autre. Cela venait du fond de justice et de droiture qu'elles avaient toutes deux, et de leur grande intelligence, qui ne leur permettait pas de méconnaître ce qu'elles avaient d'excellent. Les préjugés de ma grand'mère n'étaient pas en elle-même, ils étaient dans son entourage Elle avait beaucoup de faiblesse pour certaines personnes et ménageait en elles des opinions qu'au fond de son âme elle ne partageait pas. Ainsi, devant ses vieilles amies, elle abandonnait ma mère absente à leurs anathèmes et semblait vouloir se justifier de l'avoir accueillie dans son intimité et de la traiter comme sa fille. Et puis, quand elle se re- trouvait avec elle, elle oubliait le mal qu'elle venait d'en dire et lui montrait une confiance et une sympathie dont j'ai été mille fois témoin, et qui n'étaient pas feintes, car ma grand'mère était la personne la plus sincère et la plus loyale que j'aie jamais connue. Mais toute grave et froide qu'elle paraissait, elle était impressionnable; elle avait o. u