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HISTOIRE DE MA VIE 251

bie. En de certains endroits elle était fort profonde, il fal- lait trouver l'endroit giiéablo et ne pas se tromper. Hippo- lyte s'était déjà noyé plusieurs fois, nous l'aidions à se retirer dc's grands trous où il tombait toujours, car il fai- sait le rôle du maladroit ou de l'homme ivre, et il na- geait à sec sur le carreau en se débattant et en se lamen- tant. Pour les enfants ces jeux-là sont tout un drame, toute une fiction scénique, parfois tout un roman, tout un poëme, tout un voyage, qu'ils miment et rêvent durant des heures entières, et dont l'illusion les gagne et les saisit véritable- ment. Pour mon compte, il ne me fallait pas cinq minutes pour m'y plonger de si bonne foi, que je perdais la notion de la réalité, et je croyais voir les arbres, les eaux, les rochers, une vaste campagne, et le ciel tantôt clair, tantôt chargé de nuages qui pliaient crever et augmenter le dan- ger de passer la rivière. Dans quel vaste espace les enfants croient agir, quand ils vont ainsi de la table au lit et de la cheminée à la porte !

Nous arrivâmes, Ursule et moi, au bord de notre rivière, dans un endroit où l'herbe était fine et le sable doux. Elle le tàta d'abord, et puis elle m'appela en me disant : « Vous pouvez vous y risquer, vous n'en aurez guère plus haut que les genoux. » Les enfants s'appellent vous dans ces sortes de mimodrames. Ils ne croiraient pas jouer une scène s'ils se tutoyaient comme à l'ordinaire. Ils représentent toujours certains personnages qui expriment des caractères, et ils suivent très-bien la première donnée. Ils ont même des dialogues très-vrais et que des acteurs de profession seraient bien embarrassés d'improviser sur la scène avec tant d'à-propos et de fécondité.

Sur l'invitation d'Ursule, je lui observai que, puisque l'eau était basse, nous pouvions bien passer sans nous mouiller; il ne s'agissait que de relever un peu 'i os jupes et d'ôter nos chaussures. « Mais , dit-elle, si nous rencon