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bonne avec elle, et je lui («béissais sans pourtant la craindre, qiieli|'.'e rude qu'elle fût. Enfantinsupporlableavecles autres, j étais soumise avec elle parce que j'avais du plaisir à l'être. Elle était alors pour moi un oracle, c'était elle qui m'avait donné les premières notions de la vie, et elle me les avait données conformes aux besoins intellectuels que m'avait créés la nature. Mais, par distraction et par oubli, les en- fants font souvent ce qu'on leur a défendu et ce qu'ils n'ont point résolu de faire. Elle me grondait et me frappait alors comme si ma désobéissance eût été volontaire, et je l'ai- mais tant que j'étais véritablement au désespoir de lui avoir déplu. Il ne me vint jamais à l'esprit, dans ce temps- là, qu'elle pût être injuste. Jamais je n'eus ni rancune ni aigreur contre elle. Quand elle s'apercevait qu'elle avait été trop loin, elle me prenait dans ses bras, elle pleurait, elle m'accablait de caresses. Elle me disait même qu'elle avait eu tort, elle craignait de m'avoir fait du mal, et moi, j'étais si heureuse de retrouver sa tendresse, que je lui demandais pardon des coups qu'elle m'avait adminis- trés.

Comment sommes- nous faits? Si ma grand'mèrc eût déployé avec moi la centième partie de cette rudesse irré- fléchie, je serais entrée en pleine révolte. Je la craignais pour- tant beaucoup plus, et un mot d'elle me faisait pâlir; mais je ne lui eusse pas pardonné la moindre injustice, et toutes celles de ma mère passaient inaperçues et augmentaient mon amour.

Un jour entre autres, je jouais dans sa chambre avec Ursule et Hippolyte, tandis qu'elle dessinait. Elle était tel- lement absorbée par son travail, qu'elle ne nous entendait pas faire notre vacarme accoutumé. Nous avions trouvé un jeu qui passionnait nos imaginations. Il s'agissait de pas- ser la rivière. La rivière était dessinée sur le carreau avec de la craie et faisait mille détours dans cette grande cham-