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16 HISTOIRE DE MA VIE

nous eût maudits et repoussés; mais nous eussions plaidé, là, du moins, la plus grande cause qui ait jamais été plaidée devant Thumanité, et nous n'eussions peut-être pas manqué d'hommes pour la plaider dignement. 11 en est plusieurs dont l'inspiration s'est perdue dans les luttes sourdes et impossibles de l'anarchie religieuse, qui, secon- dés, éclairés et mieux inspirés par un milieu plus pur et un concours plus large, eussent laissé dans l'histoire une trace que nous ne pouvons prévoir.

Mais c'eût été, dira-t-on, revenir au temps des hussites, recommencer les guerres de religion, se replonger dans la barbarie dont Voltaire nous avait à jamais sauvés. — Non, l'humanité ne repasse point par les chemins qu'elle con naît sans issue. L'Église n'eût pas pu lutter, elle n'aurait pas eu le pouvoir temporel pour envoyer nos députés au bûcher. Elle n'avait plus le pouvoir spirituel pour nous combattre victorieusement; elle eût protesté, elle n'eût rien empêché; elle eût été ébranlée du faîte jusqu'à la base, et notre querelle avec les vieilles monarchies de l'Europe, sans cesser d'être ardente et prodigieuse, eût gardé le caractère religieux et philosophique qu'elle avait au commencement et que Napoléon se hâta de lui faire perdre. Cette chimère du préjugé qui fait que les mots mêmes que j'emploie, religion et philosophie, sont des termes ennemis et irréconciliables, fût tombée devant la clarté du jour. Et supposons encore que l'esprit du temps n'eût pas admis leur identité éternelle, supposons que les Français eussent persisté à se croire uniquement philoso- phes (cela n'est pas probable, puisqu'on 179i ils avaient ébauché une religion et en avaient admis les termes), cette philosophie, qui aurait grandi dans les combats, et que la solidarité du péril au»ait gravée dans tous les cœurs comme l'idée même de la patrie, nous eût investis d'une force qui n'eût probablement pas succombé à Waterloo, en sup-