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HISTOIRE DE MA VIE 247

une certaine sévrrité, et son ànie, qui avait été si tendre pour moi dans mon enfance, se laissa enfin vaincre et persuader. J'ai bien soutïert pour en arriver là; mais ce n'est pas encore ici le moment de le dire.

II faut pourtant la peindre tout entière, cette femme qui n'a pas été connue, et l'on ne comprendrait pas le mélange de sympathie et de répulsion, de confiance et d'effroi qu'elle inspira toujours à ma grand'mère (et à moi long temps), si je ne disais toutes les forces et toutes les fai- blesses de son âme. Elle était pleine de contrastes, c'est pour cela qu'elle a été beaucoup aimée et beaucoup haïe; c'est pour cela qu'elle a beaucoup aimé et beaucoup haï elle-même. A certains égards, j'ai beaucoup d'elle, mais en moins bon et en moins rude : je suis une empreinte très- affaiblie par la nature, ou Irès-modifiée par l'éducation. Je ne suis capable ni de ses rancunes ni de ses éclats; mais quand du mauvais mouvement je reviens au bon, je n'ai pas le même mérite, parce que mon dépit n'a jamais été de la fureur et mon éloignement jamais de la haine. Pour passer ainsi d'une passion extrême à une autre, pour ado- rer ce qu'on vient de maudire et caresser ce qu'on a brisé, il faut une rare puissance. J'ai vu cent fois ma mère ou- trager jusqu'au sang, et puis tout à coup reconnaître qu'elle allait trop loin, fondre en larmes et relever jusqu'à l'ado- ration ce qu'elle avait injustement foulé aux pieds.

Avare pour elle-même, elle était prodigue pour les au- tres. Elle lésinait sur des riens, et puis, tout à coup, elle craignait d'avoir mal agi et donnait trop. Elle avait d'ad- mirables naïvetés. Lorsqu'elle était en train de médire de ses ennemis, si Pierret, pour user vite son dépit, ou tout bonnement parce qu'il voyait par ses yeux, enchérissait sur ses malédictions, elle changeait tout à coup. « Pas du tout, Pierret, disait-elle, vous déraisonnez. Vous ne vous apercevez pas que je suis en colère, que je dis des