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HISTOIRE DE MA VIE 245

saient merveilleuses à ma grand'mère, un peu noncha- linte d'esprit et maladroite de ses mains, comme l'étaieni alors les grandes dames. Ma mère savonnait, elle repassait, elle raccommodait toutes nos nippes elle-même avec plus de prestesse et d'habileté que la meilleure ouvrière de pro- fession. Jamais je ne lui ai vu faire d'ouvrages inutiles et dispendieux comme ceux que font les dames riches. Elle ne faisait ni petites bourses, ni petits écrans, ni aucun de ces brimborions qui coûtent plus cher quand on les fait soi-même, qu'on ne les payerait tout faits chez un mar- chand; mais pour une maison qui avait besoin d'écono- mie, elle valait dix ouvrières à elle seule. Et puis elle était toujours prête à entreprendre toutes choses. Ma grand'- mère avait-elle cassé sa boîte à ouvrage, ma mère s'en- fermait une journée dans sa chambre, et à dîner elle lui apportait une boîte en cartonnage, coupée, collée, doublée et confectionnée par elle de tous points. Et il se trouvait que c'était un petit chef-d'œuvre de goût. Il en était de tout ainsi. Si le clavecin était dérangé, sans connaître ni le mécanisme, ni la tablature, elle remettait des cordes, elle recollait des touches, elle rétablissait l'accord. Elle osait tout et réussissait à tout. Elle eût fait des souliers, des meubles, des serrures, s'il l'avait fallu. Ma grand'mère disait que c'était une fée, et il y avait quelque chose de cela. Aucun travail, aucune entreprise ne lui semblait ni trop poétique, ni trop vulgaire, ni trop pénible, ni trop fastidieuse; seulement elle avait horreur des choses qui ne servent à rien et disait tout bas que c'étaient des amuse- ments de vieille comtesse.

C'était donc une organisation magnifique. Elle avait tant d'esprit naturel que, quand elle n'était pas paralysée par sa timidité, qui était extrême avec certaines gens, elle en était étincelante. Jamais je n'ai entendu railler et critiquer comme elle savait le faire, et il ne faisait pas bon de lui