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HISTOIRE DE .MA VIE 243

dans votre j)etit grenier manger des haricots? Celte parole- me ï'évoita, et les haricots et le petit grenier me parurent l'idéal du bonheur et de la dignité. Mais j'anticipe un peu; j'avais pcut-ctre déjà sept ou huit ans quand celte question de la richesse me fut ainsi posée. Avant de dire le résultat du combat que ma mère soutenait et se livrait à çllo- même à propos de moi, je dois esquisser les deux ou trois années que nous passâmes à Nohant après la mort de mon père. Je ne pourrai pas le faire avec ordre, ce sera un tableau général et un peu confus comme mes souve- nirs.

D'abord je dois dire comment vivaient ensemble ma mère et ma grand'mère, ces deux femmes aussi différentes par leur organisation qu'elles l'étaient par leur éducation et leurs habitudes. C'étaient vraiment les deux types extrê- mes de notre sexe : Tune blanche, blonde, grave, calme et digne dans ses manières, une véritable Saxonne de noble race, aux grands airs pleins d'aisance et de bonté protec- trice; l'autre brune, pâle, ardente, gauche et timide devant les gens du beau monde, mais toujours prêle à éclater quand l'orage grondait trop fort au dedans, une nature d'Espagnole, jalouse, passionnée, colère et faible, méchante e[ bonne en même temps. Ce n'était pas sans une mor- telle répugnance que ces deux êtres si opposés par nature et par situation s'étaient acceptés l'un et l'autre, et, pendant la vie de mon père, elles s'étaient trop disputé son cœur pour ne pas se haïr un peu. Après sa mort, la douleur les rapprocha, et l'effort qu'elles avaient fait pour s'aimer porta ses fruits. Ma grand'mère ne pouvait comprendre les vives passions et los violents instincts, mais elle était sen- sible à la grâce, à rintelligence et aux élans sincères du cœur. Ma mère avait tout cela, et ma grand'mère l'obser- vait souvent avec une sort(! de curiosité, se demandant pourquoi mon père l'avait tant aimée. Elle découvrit