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242 HISTOIRE DE MA VIE

ordre, et je veux tâcher de commencer par le commence- meni. Jusqu'à l'âge de quatre aus, c'est-à-dire, jusqu'au voyage en Espagne, j'avais chéri ma mère instinctivement et sans le savoir. Ainsi que je l'ai dit, je ne m'étais rendu compte d'aucune affection ; j'avais vécu comme vivent les petits enfants, et comme vivent les peuples primitifs, par l'imagination. La vie du sentiment s'était éveillée en moi à la naissance de mon petit frère aveugle, en voyant souf- h-ir ma mère. Son désespoir à la mort de mon père m'avait développée davantage dans ce sens et je commençai à me sentir subjuguée par cette affection, quand l'idée d'une sé- paration vint me surprendre au milieu de mon âge d'or. Je dis mon âge d'or, parce que c'était à cette époque-là le mot favori d'Ursulette. Je ne sais où elle l'avait entendu dire, mais elle me le répétait quand elle raisonnait avec moi, car elle prenait déjà part à mes peines; et, par son caractère plus encore que par les cinq ou six mois qu'elle avait de plus que moi, elle comprenait mieux le monde réel. En me voyant pleurer à l'idée de rester sans ma mère avec ma bonne maman, elle me disait : « C'est pour- tant gentil d'avoir une grande maison et un grand jardin comme ça pour se promener, et des voitures, et des robes, et des bonnes choses à mangerions les jours. Qu'est-ce qui donne tout ça? C'est le riche ncnt. 11 ne faut donc pas que tu pleures, car tu auras, avec ta bonne maman, toujours de Vôge d'or et toujours du richement. Et quand je vas voir maman à La Chaire, elle dit que je suis devenue difficile à Nohant et que je fais la dame. Et moi, je lui dis : Je suis dans mon âge d'or et je prends du richement pendant que j'en ai. »

Les raisonnements d'Ursule ne me consolaient pas. Un jour, sa tante, mademoiselle Julie, la femme de chamorc de ma grand'nière, qui me voulait du bien et qui raisonnait à son point de vue, me dit : Vous voulez donc retourner'