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HISTOIRE DE 31A VIE 241

J'ai souvent entendu ma mère soulever devant moi ce " problème : « Mon enfant sera-t-elle plus heureuse ici qu'avec moi? Je ne sais rien, c'e^t vrai, et je n'aurai pas le moyen de lui en faire apprendre bien long. L'héritage de son père peut être amoindri si sa grand'mère se désaf- fectionne en ne la voyant pas sans cesse, mais l'argent el les talents font-ils le bonheur? »

Je comprenais déjà ce raisonnement, et quand elle par- lait de mon avenir avec mon oncle de Beaumont, qui la pressait vivement de céder, j'écoutais de toutes mes oreil- les sans en avoir l'air. Il en résulta pour moi un grand mépris pour l'argent, avant que je susse ce que ce pouvait être, et une sorte de terreur vague de la richesse dont j'étais menacée.

Cette richesse n'était pas grand'chose ; car, tout au net, ce devait être un jour environ douze mille francs de renie. Mais relativement, c'était beaucoup, et cela me faisait grand'peur, étant lié à l'idée de me séparer de ma mère. Aussi, dès que j'étais seule avec elle, je la couvrais de caresses en la suppliant de ne pas me donner pour de Var- gent à ma grand'mère; j'aimais pourtant cette bonne ma- man si douce, qui ne me parlait que pour me dire des choses tendres; mais cela ne pouvait se comparer à l'amour passionné que je commençais à ressentir pour ma mère, et qui a dominé ma vie jusqu'à une époque où des circon- stances plus fortes que moi m'ont fait hésiter entre ces deux mères, jalouses l'une de l'autre à propos de moi, comme elles l'avaient été à propos de mon père.

Oui, je dois l'avouer, un temps est venu où, placée dans une situation anormale entre ces deux affections qui, de leur nature, ne se combattent point, j'ai été tour à tour victime de la sensibilité de ces deux femmes et de la mienne propre, trop peu ménagée par elles. Je raconterai ces choses comme elles se sont accomplies, mais dans leur U. «4