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240 HiTOIRE DE MA VIE

Nous restâmes deux ou trois ans à Nohant sans que ma grand'mère songeât à retourner à Paris, et sans que ma mère put se t^écider à ce qu'on désirait d'elle. Ma grand'- mère voulait que mon éducation lui fût entièrement confiée et que je ne la quittasse plus. Ma mère ne pouvait aban- donner Caroline, qui était en pension, à la vérité, mais qui bientôt devait avoir besoin qu'elle s'en occupât d'une manière suivie, et elle ne pouvait se résoudre à se séparer définitivement de l'une ou de l'autre de ses filles. Mon oncle de Beaumont vint passer un été à Nohant pour aider ma mère à prendre cette résolution, qu'il jugeait nécessaire au bonheur de ma grand'mère et au mien ; car, tous comptes faits, et même ma grand'mère augmentant le plus possible l'existence à laquelle ma mère pouvait pré- tendre, il ne restait à celle-ci que deux mille cinq cents livres de rente, et ce n'était pas de quoi donner une bril- lante éducation à ses deux enfants. Ma grand'mère s'atta- chait à moi chaque jour davantage, non pas sans doute à cause de mon petit caractère, qui était encore passable- ment quinteux à cette époque, mais à cause de ma res- semblance frappante avec mon père. Ma voix, mes traits mes manières, mes goùls, tout en moi lui rappelait son fils enfant, à tel point qu'elle se faisait quelquefois, en me re- gardant jouer, une sorte d'illusion, et que souvent elle m'appelait Maurice et disait mon fils en parlant de moi.

Elle tenait beaucoup à développer mon intelligence, dont elle se faisait une haute idée. Je ne sais pourquoi je com- prenais tout ce qu'elle me disait et m'enseignait, mais elle le disait si clairement et si bien, que ce n'était pas mer- veille. J'annonçais aussi des dispositions musicales qui n'ont jamais été sullisamment développées, mais qui la char- maient, parce qu'elles lui rappelaient l'enfance de mon père, et elle rcconmiençait la jeunesse de sa maternité en me donnant des leçons.