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238 HISTOIRE DE MA VIE

voyage d'Espagne, la maladie et les douleurs auxquelles j'avais assisté m'avaient laissé une excitation nerveuse qui dura assez longtemps J'étais donc irritable au dernier point et hors de mon élat normal. J'éprouvais mille fan- taisies et je ne sortais de mes contemplations mystérieuses que pour vouloir l'impossible. Je voulais qu'on me donnai les oiseaux qui volaient dans le jardin, et de rago, je me roulais par terre quand on se moquait de moi ; je voulais que Weber me mît sur son cheval ; ce n'était plus Leo- pardo, on l'avait vendu bien vitp, mais on pense bien qu'on ne voulait me laisser approcher d'aucun cheval. Enfin mes désirs contrariés faisaient mon supplice. Ma grand'mère disait que celte intensité de fantaisies était une preuve d'imagination et elle voulait distraire cette imagination malade; mais cela fut long et difficile.

Lorsque Ursule arriva, après la première joie, car elle me plut tout de suite et je sentis, sans m'en rendre compte, que c'était un enfant très-intelligent et très-courageux, l'esprit de domination revint, et je voulus l'astreindre à toutes mes volontés. Tout au beau milieu de nos jeux, il fallait changer celui qui lui plaisait pour celui qui me plaisait davantage, et tout aussitôt je m'en dégoûtais quand elle commençait à le préférer. Ou bien il fallait rosier tranquille et ne rien dire, méditer avec moi ; et si j'avais pu faire qu'elle eût mal à la tôle, ce qui ni'arrivait souvent, j'aurais exigé qu'elle me tînt compagnie sous ce rapi:ort. Enfin j'étais l'enfant le plus maussade, le plus chagrin et le plus irascible qu'il soil possible d'imaginer.

Grâce à Dieu, Ursule ne se laissa point asservir. Elle était d'humeur enjouée, active, et si babillarde qu'on lui ivait donné le surnom de Caquet bon bec qu'elle a gardé longtemps. Elle a toujours eu do l'esprit, et ses longs dis- cours faisaient souvent rire ma grand'mère à travers ses armes. On craignit d'abord qu'elle ne se laissât tyran-