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HISTOIRE DE MA VIE 237

chambre, lui proposa d'amener sa nièce, qui n'avait que six mois de plus que moi, et bientôt la petite Ursule fut habillée de deuil et amenée à Nohant. Elle y a passé plu- sieurs années avec moi, ensuite elle a été mise en appren- tissage. Elle est venue pendant quelque temps tenir ma mai.^on après mon mariage, et puis elle s'est mariée elle- même, et a toujours habité La Châtre. Nous ne nous sommes donc jamais perdues de vue, et notre amitié, toujours plus éprouvée par l'âge, a maintenant quarante ans de date : c'est quelque chose.

J'aurai à parler souvent de cette bonne Ursule, et je commence par dire qu'elle fut pour moi d'un grand secours dans la disposition morale et physique oii je me trouvais par suite de notre malheur domestique. Le bon Dieu voulut bien me faire cette grâce que l'enfant pauvre qu'on asso- ciait à mes jeux ne fût point une âme servile. L'enfant du riche (et relativement à Ursule j'étais une petite princesse) abuse instinctivement des avantages de sa position et quand son pauvre compagnon se laisse faire, le petit despote lui ferait volontiers donner le fouet à sa place, ainsi que cela s'est vu entre seigneurs et vilains. J'étais fort gâLée. Ma sœur, plus âgée que moi de cinq ans, m'avait toujours cédé avec cette complaisance que la raison inspire aux petites lilles pour leurs cadettes. Cloiikle seule m'avait tenu tête ; mais depuis quelques mois je n'avais plus Toccasion de devenir sociable avec mes pareilles. J'étais seule avec ma mère, qui pourtant ne me gâtait pas, car el'e avait la parole vive et la main leste, et mettait en pratique cette maxime que qui aime bien châtie bien. Mais, dans ces jours de deuil, soutenir contre les caprices d'un enfant une lutte de toutes les heures était nécessai- rement au-dessus de ses forces. Ma grand'mère et elle avaient besoin de m'aimer et de me gâter pour se consoler de leurs peines; j'en abusais naturellement. Et puis le