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HISTOIRE DE MA VIE 235

malade de peui-. Deschartres le vit aussi, et le menaça d'un coup de fusil : il ne revint plus.

Heureusement pour moi, je fus assez bien surveillée pour ne pas entendre ces sottises, et la mort ne se pré- senta pas encore à moi sous l'aspect hideux que les imagi- nations superslitieuses lui ont donné. Ma grand'mère me sépara pendant quelques jours d'Hippolyte, qui perdait la tête et qui d'ailleurs était pour moi un camarade un peu trop impétueux. Mais elle s'inquiéia bientôt de me voir trop seule et de Tespèce de satisfaction passive avec laquelle je me tenais tranquille sous ses yeux et plongée dans des rêveries qui étaient pourtant une nécessité de mon organi- sation, et qu'elle ne s'expliquait pas. 11 paraît que je restais des heures entières assise sur un tabouret aux pieds de ma mère ou aux siens, ne disant mot, les bras pendants, les yeux fixes, la bouche entr'ouverte, et que je paraissais idiote par moments. « Je l'ai toujours vue ainsi,» disait ma mère, c'est sa nature ; ce n'est pas bêtise. Soyez sûre qu'elle rumine toujours quelque chose. Autrefois elle par- lait tout haut en rêvassant, à présent elle ne dit plus rien, mais, comme disait son pauvre père, elle n'en pense pas moins. — C'est probable, répondait ma grand'mère, mais il n'est pas bon pour les enfants de tant rêver. J'ai vu aussi son père enfant tomber dans des espèces d'extases, et après cela il a eu une maladie de langueur. Il faut que celle petite soit distraite et secouée malgré elle. Nos cha- grins la feront mourir si on n'y prend garde; elle les rossent, bien qu'elle ne les comprenne pas. Ma fille, il faut vous distraire aussi, ne fût-ce que physiqunnent. Vous êtes naturellement robuste, l'exercice vous est nécessaire. Il faut reirendre votre travail de jardinage, l'enfant y reprendra goût avec vous.

Ma mère obéit, mais sans doute elle ne put pas d'abord \ mettre beaucoup de suite. A force de pleurer, elle avait