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HISTOIRE DE MA VIE 231

sombre et pluvieuse, et j'ai déjà dit que ma grand'mèrc, quoique d'une helle et forte organisation, soit par faiblesse' naturelle d;^s jambes, soit par mollesse excessive dans sa première éducation, n'avait jamais pu marcher. Quand elle avait fait lenlement le tour de son jardin, elle était accablée pour tout le jour. Elle n'avait marché qu'une fois en sa vie, pour aller surprendre son fils à Passy en sortant do prison. Elle marcha pour la seconde fois le 17 septembre 1808. Ce fut pour aller relever son cadavre à une lieue de la maison, à l'ontrée de Là Châtre. Elle partit seule, en petits souliers de prunelle, sans châle, comme elle se trou- vait en ce moment-là. Comme il s'était passé un peu de temps avant qu'elle surprît dans la maison l'agitation qui l'avait avertie, Deschartres était arrivé avant elle. Il était déjà auprès de mon pauvre père, il avait déjà constaté la mort. Voici comment ce funeste accident était arrivé : Au sortir de la ville, cent pas après le pont qui en mar- que l'entrée, la route fait un angle. En cet endroit, an pied du treizième peuplier, on avait laissé ce jour-là un monceau de pierres et de gravats. Mon père avait pris le galop en quittant le pont. 11 montait le fatal Lcopardo. Weber, à cheval aussi, le suivait à dix pas en arrière. Au détour de la roule, le cheval de mon père heurta le tas de pierres dans l'obscurité. Il ne s'abattit pas, mais effrayé et stimulé sans doute par l'éperon, il se releva par un mou- vement d'une telle violence, que le cavalier fut enlevé et alla tomber à dix pieds en arrière. Weber n'entendit que ces

mots: « A moi, Weber ! je suis mort! » Il trouva son

maître étendu sur le dos. Il n'avait aucune blessure appa- rente ; mais il s'était rompu les vertèbres du cou, il n'existait plus. Je crois qu'on le porta dans l'auberge voi- sine et que des secours lui vinrent promptement de la ville pendant que Weber, en proie à une inexprimable terreur,