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HISTOIRE DE MA VIE 22?

qu'elles ne m'aient point affectée au delà des facultés très- limitées qu'un enfant peut avoir pour la douleur, je les ai toujours vues si présentes aux souvenirs et aux pensées de ma famille, que j'en ai ressenti le contre-coup toute ma vie.

Quand le petit jardin mortuaire fut à peu près établi, l'a- vant-veille de sa mort, mon père engagea ma grand'mère à faire abattre les murs qui entouraient le grand jardin, et dès qu'elle y eut consenti, il se mit à l'ouvrage à la tête des ouvriers. Je le vois encore au milieu de la poussière, un pic de fer à la main, faisant crouler ces vieux murs qui tombaient presque d'eux-mêmes avec un bruit dont j'étais effrayée.

Mais les ouvriers finirent l'ouvrage sans lui. Le vendredi 17 septembre, il monta son terrible cheval pour aller faire visite à nos amis de La Châtre. H y dîna et y passa la soirée. On remarqua qu'il se força un peu pour être enjoué comme à l'ordinaire, et que, par moments, il était sombre et préoccupé. La mort récente de son enfant lui revenait dans l'àme, et il faisait généreusement son possible pour ne pas communiquer sa tristesse à ses amis. C'étaient ceux-lii mêmes avec lesquels il avait joué sous le Directoire Robert chef de brigands. Il dînait avec M. et madame Du- vernel.

Ma mère était toujours jalouse, et surtout, comme il arrive dans cotte maladie, des personnes qu'elle ne connais- sait pas. Elle eut du dépit de voir qu'il ne rentrait pas de bonne heure, ainsi qu'il le lui avait promis, et elle montra naïvement son chagrin à ma grand'mère. Déya. elle lui avait confessé cette faiblesse, et déjà ma grand'mère l'avait raisonnée. Ma grand'mère n'avait pas connu les passions, et les soupçons de ma mère lui paraissaient fort déraisonnables. Elle eût dû y compatir un peu pourtant, elle qui avait porté la jalousie dans l'amour maternel ; mais elle parlait à son