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228 HISTOIRE DE MA VIE

beaucoup prier pour nous dire le secret qu'il avait décou- vert. Quelques années auparavant, en plantant ses figuiers, sa bêche avait heurté contre un petit cercueil. 11 l'avait dégagé de la terre, examiné et ouvert. Il y avait trouvé les ossements d'un petit enfant. 11 avait cru d'abord que quelque infanticide avait été caché en ce lieu, mais il avait trouvé le carton écrit intact entre les deux -vitres, et il y avait lu les noms du pauvre petit Louis et les dates si rap- prochées de sa naissance et de sa mort. Il n'avait guère compris, lui dévot et superstitieux, par quelle fantaisie on avait ôtéde la terre consacrée ce corps qu'il avait vu porter au cimetière, mais enfin il en avait respecté le secret; il s'était borné à le dire à magrand'mère,et il nous le disait main- tenant pour que nous avisassions à ce qu'il y avait à faire. Nous jugeâmes qu'il n'y avait rien à faire du tout. Faire re- porter ces ossements dans le cimetière, c'eût été ébruiter un fait que tout le monde n'eût pas compris, et qui, sous la Restauration, eût pu être exploité contre ma famille par les prêtres. Ma mère vivait, et son secret devrait être gardé et respecté. Ma mère m'a raconté le fait ensuite, et a été satis- faite que les ossements n'eussent pas été dérangés.

L'enfant resta donc sous le poirier, et le poirier existe en core. Il est même fort beau, et au printemps il étend un parasol de fleurs rosées sur cette sépulture ignorée. Je ne vois pas le moindre inconvénient à en parler aujourd'hui. Ces fleurs printanièreo lui font un ombrage moins sinistre que le cyprès des tombeaux. L'herbe et les fleurs sont le véritable mausolée des enfants, et, quant à moi, je déteste les monuments et les inscriptions : je tiens cela de ma grand'mère, qui n'en voulut jamais pour son fils chéri, di- sant avec raison que les grandes douleurs n'ont point d'ex- pression, et que les arbres et les fleurs sont les seuls ornemente \o\ n'irritent point la pensée.

11 rae reste à raconter des choses bien tristes, et quoi-