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HISTOIRE DE MA VIE 227

Rux seuls savaient le secret de leur amour pour ce coin de terre. Je me souviens de l'avoir vu cultivé par eux pen- dant le peu de jours qui séparèrent cet étrange incident de la mort de mon père. Ils y avaient planté de superbes reines marguerites qui ont fleuri pendant plus d'un mois. Au pied du poirier ils avaient élevé une butte de gazon avec un petit sentier en colimaçon, pour que j'y pusse monter et m'y asseoir. Combien de fois j'y suis montée en effet, combien j'y ai joué et travaillé sans me douter que c'étaitun tombeau! Il y avait autour de jolies allées sinueuses bordées de gazon, de plates-bandes de fleurs et des bancs; c'était un jardin d'enfant, mais complet, et qui s'était créé là comme par magie, mon père, ma mère, Hippolyte et moi y travaillant sans relâche pendant cinq ou six journées, les dernières de la vie de mon père, les plus paisibles peut-être qu'il ait goûtées, et les plus tendres dans leur mélancolie. Je me souviens qu'il apportait sans cesse de la terre et du ga/on dans des brouettes, ot qu'en allant cher- cher ces fardeaux, il nous mettait, Hippolyte et moi, dans la brouette, prenant plaisir à nous regarder, et faisant sem- blant de nous verser, pour nous voir crier ou rire, selon notre humeur du moment.

Quinze ans plus tard mon mari fit changer la disposition générale de notre jardin. Déjà le petit jardm de ma mère avait disparu depuis longtemps. 11 avait été abandonné pen- dant mon séjour au couvent, et plantéde figuiers. Le poirier avait grossi et il fut question de l'ôter parce qu'il se trou- vait rentrer un peu dans une allée dont on ne pouvait changer l'alignement. J'obtins grâce pour lui. On creusa l'allée, et une plate-bande de fleurs se trouva placée sur la sépulture de l'enfant. Quant l'allée fut finie, assez longtemps après même, le jardinier dit un jour, d'un air mystérieux à mon mari et à moi, que nous avions bien fait de res- pecter cet arbre. Il avait envie de parler et ne se fit pas