Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/236

Cette page n’a pas encore été corrigée

fit tomber dans la fosse. Il a dit ensuite à ma mère qu’il avait éprouvé un instant de terreur et d’angoisse inexprimable en se trouvant poussé par ce mort et renversé dans la terre sur la dépouille de son fils. Il était brave, on le sait de reste, cl il n’avait aucun genre de superstition. Pourtant il eut un mouvement de terreur et une sueur froide lui vint au front. Huit jours après, il devait prendre place à côté du paysan, dans cette même terre qu’il avait soulevée pour en arracher le corps de son fils.

Il recouvra vite son sang-froid et répara si bien le désordre que personne ne s’en aperçut jamais. Il rapporta le petit cercueil à ma mère et l’ouvrit avec empressement. Le pauvre enfant était bien mort, mais ma mère se plut à lui faire elle-même une dernière toilette. On avait profité de son premier abattement pour l’en empêcher. Maintenant, exaltée et comme ranimée par ses larmes, elle frotta de parfums ce petit cadavre, elle l’enveloppa de son plus beau linge et le replaça dans son berceau pour se donner la douloureuse illusion de le regarder dormir encore.

Elle le garda ainsi caché et enfermé dans sa chambre toute la journée du lendemain, mais la nuit suivante, toute vaine espérance étant dissipée, mon père écrivit avec soin le nom de l’enfant et la date de sa naissance et de sa mort -sur un papier qu’il plaça entre deux vitres et qu’il ferma avec de la cire à cacheter tout autour.

Étranges précautions qui furent prises avec une apparence de sang-froid, fous l’empire d’une douleur exaltée. L’inscription ainsi placée dans le cercueil, ma mère couvrit l’enfant de feuilles de roses, et le cercueil fut recloué, porté dans le jardin, à l’endroit que ma mère cultivait elle-même, et enseveli au pied du vieux poirier.

Dès le lendemain ma mère se remit avec ardeur au jardinage, et mon père l’y aida. On s’étonna de leur voir prendre cet amusement puéril, en dépit de leur tristesse.