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HISTOIRE DE MA VIE 225

?ur des claies et qu'ils les suspendent desséchés sur des brandies d'arbre? J'aimerais mieux voir le berceau de mon petit enfant mort accroché à un des arbres du jardin que de penser qu'il va pourrir dans la terre ! Et puis, ajoLita-t-elle frappée de la réflexion qui était venue à mon père, s'il n'était pas mort, en effet ? Si on avait pris une convulsion pour l'agonie, si M. Deschartres s'était trompé! car enfin, il me l'a ôté, il m'a empêché de le frotter encore et de le réchauffer, disant que je hâtais sa mort. Il est si rude, ton Deschartres ! il me fait peur et je n'ose lui ré- sister! Mais c'est peut-être un ignorant qui n'a pas su distinguer une léthargie de la mort. Tiens, je suis si tour- mentée que j'en deviens folle et que je donnerais tout au monde pour ravoir mon enfant mort ou vivant.

Mon père combattit d'abord cette pensée, mais peu à peu elle le gagna aussi, et regardant à sa montre : « Il n'y a pas de temps à perdre, dit-il; il faut que j'aille chercher cet enfant; ne fais pas de bruit, ne réveillons personne, je te réponds que dans une heure tu l'auras. »

Il se lève, s'habille, ouvre doucement les portes, va prendre une bêche et court au cimetière, qui touche à noire maison et qu'un mur sépare du jardin ; il approche de la terre fraîchement remuée et commence à creuser. 11 faisait sombre, et mon père n'avait pas pris de lanterne. Il ne put voir assez clair pour distinguer la bière qu'il découvrait, et ce ne fut que quand il l'eut débarrassée en entier, étonné de la longueur de son travail, qu'il la re- connut trop grande pour être celle de l'enfant. C'était celle d'un homme de notre village qui était mort peu de jours auparavant. Il fallut creuser à côté, et là, en effet, il retrouva le petit cercueil. Mais, en travaillant à le retirer, il appuya fortement le pied sur la bière du pauvre paysan, et cette bière, entraînée par le vide plus profond qu'il a\ai(, lait à côté, se dressa devant lui, le frappa à l'épaule et lo II. n.