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HISTOIRE DE MA VIE 223

d'exercice, afin d'avoir de l'appétit et de réparer la qualité de son lait par de bons aliments. Elle commença aussitôt lin petit jardin dans un angle du grand jardin de Nohant, au pied d'un gros poirier qui existe encore. Cet arbre a toute une histoire si bizarre qu'elle ressemble à un roman, ot que je n'ai sue que longtemps après.

Le 8 septembre, un vendredi, le pauvre petit aveugle, nprès avoir gémi longtemps sur les genoux de ma mère, devint froid, rien ne put le réchauffer. Il ne remuait plus. Deschartrt's vint, l'ôta des bras de ma mère, il était mort. Triste et courte existence, dont, grâce à Dieu, il ne s'est pas rendu compte.

Le lendemain on l'enterra, ma mère me cacha ses larmes. Hippolyte fut chargé de m'emmener au jardin toute la journée. Je sus à peine et ne compris que faiblement et dubitativement ce qui se passait dans la maison. II paraît que mon père fut vivement affecté, et que cet enfant, malgré son infirmité, lui était tout aussi cher que les autres. Le soir, après minuit, ma mère et mon père, retirés dans leur chambre, pleuraient ensemble, et il se passa alors entre eux une scène étrange que ma mère m'a racontée avec détails une vingtaine d'années plus tard. J'y avais assisté en dormant.

Dans sa douleur et l'esprit frappé des réflexions de ma grand'mère, mon père dit à ma mère : « Ce voyage d'Es- fagne nous aura été bien funeste, ma pauvre Sophie. Lorsque tu m'écrivais que tu voulais venir m'y rejoindre ( t que je te sup[)li?.ïs de n'en rien taire, tu croyais voir là une preuve d'infid('lité ou de refroidissement de ma part; (i moi, j'avais le pressentiment de quelque malhrur. Qu'y avait-il de plus téméraire et de plus insensé que de courir ainsi, grosse à pleine ceinture, à travers tant de dangers, de privations, de souffrances et de terreurs de tous les instants? C'est un miracle que tu y aies résisté; t'est un