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HISTOIRE DE MA VIE 13

sorte de culte sorti de son cerveau, mouvement sanç lumière suffisante, sans conscience assez profonde de soi- même, est au moins un mouvement naïf; et tout éphé- mère et inefficace qu'ait été cette tentative, elle a laissé une trace plus sensible qu'on ne pense dans l'esprit du peuple. Si c'était une profanation, ce n'était pas une profanation préméditée et froidement accomplie. C'était naïf et igno- rant comme un sacrifice offert par des sauvages au grand Être; mais les sauvages ne sont pas sceptiques, ils adorent Dieu du mieux qu'ils peuvent, et le peuple de Paris avait été plus croyant au champ de Mars en 94 qu'il ne le fut autour de Notre-Dame en 1802. Ce n'est pas à dire que la religion des jacobins pût être mise en comparaison aucune avec celle des apôtres. Mais l'hypocrisie souille tout ce qu'elle touche, et voilà les étranges méprises auxquelles elle condamne les hommes.

Par le concordat. Napoléon ressuscitait et consacrait l'an- tique divorce du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. C'était là, même au point de vue de son autorité, une grande faute, et je ne peux pas comprendre comment il l'a commise, sans même en prévoir les conséquences. Ses lentes et pénibles négociations avec la cour de Rome, ses querelles assez vives avec le légat ne lui faisaient-elles donc pas pressentir que le saint-siége n'était alors ni plus sincère ni plus croyant que lui? Et quand il eut enfin obtenu cette pauvre victoire d'amener le pape à consacrer l'hérésie des prêtres constitutionnels, ne vit-il pas bien que la réconciliation n'était pas réelle, et que bientôt il lui faudrait, au nom du pouvoir temporel, briser les résistances, étouffer les protestations du pouvoir spirituel? Les classes extrêmes, que le rétablissement du culte officiel devait le mieux dis- poser en sa faveur, la vieille noblesse et le peuple des campagnes allaient nécessairement subir l'influence du clergé mécontent, faire du pape opprimé un martyr, et de