Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/228

Cette page n’a pas encore été corrigée

îlg HISTOIRE DE MA VIE

J'étais retombée dans ina fièvre, je n'avai;^ plus faim. La gale faisait des progrès, une petite bonne espagnole que nous avions prise en route, et qui s'appelait Cécilia, com- mençait aussi à lessenlir les effels de la contagion et ne me touchait qu'avec répugnance. Ma mère était à peu près guérie déjà, mais mon pauvre petit frère, dont les boutons ne parai.<5saient plus, était encore plus malade et plus ac- cablé que moi. Nous étions deux masses inertes, brûlantes, et je n'avais pas plus conscience que lui de ce qui s'était passé autour de moi depuis le naufrage de la Gironde.

Je repris mes sens en entrant dans la cour de Nohant. Ce n'était pas aussi beau, à coup sur, que le palais de Ma- drid, mais cela me fit le même effet, tant une grande maison est imposante pour les enfants élevés dans de pe- tites chambres.

Ce n'était pas la première fois que je voyais ma grand'- mère, mais je ne me souviens pas d'elle avant ce jour-là. Elle me parut très-grande, quoiqu'elle n'eût que cinq pieds, et sa figure blanche et rosée, son air impo.sant, son inva- riable costume composé d'une robe de soie brune à taille; ongue et à manches plates, qu'elle n'avait pas voulu modi- fier selon les exigences de la mode de l'Empire, sa perruque blonde et crêpée en touffe sur le front, son petit bonnet rond avec une cocarde de dentelle au milieu, firent d'elle pour moi un être à part et qui ne ressemblait en rien à ce que j'avais vu.

Celait la première fois que nous étions reçues à Nohant, ma mère et moi. Après que ma grand'mère eut embrassé mon }ière, elle voulut embrasser ma mère aussi; mais celle-ci l'en empêcha en lui disant : «Ah! ma chère ma- man, ne touchez ni à moi ni à ces pauvres enfants. Vous na savez pas quelles misères nous avons subies, ni us sona- mcs tous malades. »

Mon père, qui était toujours optimiste, se mit à riic, et