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HISTOIRE DE MA VIE 217

comme d'nne hache ou d'un rasoir jjour couper et ailler, * et il avait pour ce sabre (probablement c'était le sabre africain dont il parle dans sa dernière lettre) un amour extraordinaire ; car, dans le premier moment d'incertitude OLi nous nous étions trouvés, en abordant, pour savoir si la chaloupe et la calèche sombreraient immédiatement ou si nous aurions le temps de sauver quelque chose , ma mère avait voulu l'empêcher d'y redescendre en lui disant : « Eh! laisse aller tout ce que nous avons au fond de l'eau, plutôt que de risquer de te noyer; » et il lui avait répondu: « J'aimerais mieux risquer cela que d'abandonner mon sabre. » C'était en effet le premier objet qu'il eût retiré. Ma mère se tenait pour satisfaite d'avoir sa fille à ses côtés et son fils dans ses bras. Pour moi, j'avais sauvé mon bou- quet de roses flétries avec le même amour que mon père avait mis à nous sauver tous. J'avais fait grande attention à ne pas le lâcher en sortant de la calèche à demi sub- mergée , et en grimpant à l'échelle de sauvetage ; c'était mon idée comme celle de mon père était pour son sabre.

Je ne me souviens pas d'avoir éprouvé la moindre frayeur dans toutes ces rencontres. La peur est de deux sortes. Il y en a une qui tient au tempérament, une autre à l'imagi- nation. Je ne connus jamais la première, mon organisa- lion m'ayant douée d'un sang-froid tout semblable à celui de mon père. Ce mot de sang-froid exprime positivement la tranquillité que nous tenons d'une disposition physique et dont par conséquent nous n'avons pas à tirer vanité. Quant à la frayeur qui résulte d'une excitation maladive de l'imagination, et qui n'a pour aliments que des fan- tômes, j'en fus obsédée pendant toute mon enfance. Mais quand l'âge et la raison eurent dissipé ces chimères, je re- trouvai l'équilibre de mes facultés et ne connus jamais au- cun genre de peur.

Nous arrivâmes à Nohant dans les derniers jours d'août. u. 13