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manœuvre : mais , comme nous étions enfin entrés dans la Gironde, nous heurtâmes je ne sais quel récif, et l'eau commença à entrer dans la cale. On se dirigea précipitam- ment vers la live, mais la cale se remplissait toujours et la chaloupe sombrait visiblement. Ma mère, prenant ses enfants avec elle, était entrée dans la calèche; mon père la rassurait en lui disant que nous avions le temps d'a- border avant d'être engloutis. Pourtant le pont commen- çait à se mouiller, et il ôla son habit et prépara un châle pour attacher ses deux enfants sur son dos : « Sois tran- quille, disait-il à ma mère, je te prendrai sous mon bras, je nagerai de l'autre, et je vous sauverai tous trois, sois- en sûre. »

Nous touchâmes enfin la terre, ou plutôt un grand mur en pierres sèches surmonté d'un hangar. Il y avait der- rière ce hangar quelques habitations, et à l'instant même plusieurs hommes vinrent à notre secours. 11 était tenips, la calèche sombrait aussi avec la chaloupe, et une échelle nous fut jetée fort à propos. Je ne sais ce qu'on fit pour sauver l'embarcation , mais il est certain qu'on en vint à bout. Cela dura plusieurs heures, pendant lesquelles ma mère ne voulut pas quitter le rivage ; car mon père, après nous avoir mises en sûreté, était redescendu sur la cha- loupe pour sauver nos effets d'abord, et puis la voiture, et enfin la chaloupe. Je fus frappée alors de son courage, de sa promptitude et de sa force. Quelque expérimentés que fussent les matelots et les gens de l'endroit, ils admi- raient l'adresse et la résolution de ce jeune officier qui, après avoir sauvé sa famille, ne voulait pas abandonner son patron avant d'avoir sauvé sa barque, et qui dirigeait tout ce petit sauvetage avec plus d'à-propos qu'eux-mêmes. Il <!St vrai qu'il avait fait son apprentissage au camp de Boulogne ; mais en toutes choses il agissait de sang-froid (1, avec une rare présence d'esprit. 11 se servait de son sabre