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HISTOIRE DE MA VIE 215

trême à prendre un bain. Elle me soignait à sa manière, et, au sortir du bain, elle m'enduisait de soufre de la tête aux pieds, puis elle me faisait avaler des boulettes de soufre pulvérisé dans du beurre et du sucre. Ce goût et cette odeur dont je fus imprégnée pendant deux mois m'ont laissé une grande répugnance pour tout ce qui me les rap- pelle.

Nous trouvâmes apparemment des personnes de cùnnais- sance à la frontière, car je me rappelle un grand dîner et des politesses qui m'ennuyèrent beaucoup; j'avais retrouvé nif s facultés et mon appréciation des objets extérieurs. Je ne sais quelle idée eut ma mère de vouloir retourner par mer à Bordeaux. Peut-être était-elle brisée par la fatigue des voitures, peut-être s'imaginait-elle , dans son instinct médical, qu'elle suivait toujours, que l'air de la mer déli- vrerait ses enfants et elle-même du poison de la pauvre Espagne. Apparemment le temps était beau et l'Océan Iranquille, car c'était une nouvelle imprudence que de se risquer en chaloupe sur les côtes de Gascogne , dans ce golfe de Biscaye toujours si agité. Quel que fut le motif, une cbaloupe pontée fut louée, la calèche y fut descendue, et nous parlimes comme pour une partie de plaisir. Je ne sais où nous nous embarquâmes ni quelles g-nis nous ac- compagnèrent jusqu'au rivage en nous prodiguant de grands soins. On m'y donna un gros bouquet de roses , que je gardai tout le temps de la traversée pour me préserver de l'odeur du soufre.

Je ne sais combien de temps nous côtoyâmes le rivage ; je retombai dans mon sommeil lélhirgique , et cette tra- versée ne m'a laissé d'autres souvenirs que ceux du départ et de l'arrivée. Au moment ofi nous approcliions de notre but, un coup de vent nous éloigna du rivage, et je vis le pilote et ses deux aides livrés à une grande anxiété. Ma mère recommença à avoir peur, mon père se mil h la