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HISTOIRE DE MA VIE 213

épars sur le chemin, mais j'étais si malade que je ne me souviens pas d'avoir été vivement impressionnée par ces horribles spectacles.

Avec la fièvre , j'éprouvai bientôt une autre souffrance qui ne se concilie pas souvent avec le désordre de la vie, et dont pourtant tous les soldats malades avec lesquels nous voyagions éprouvaient aussi les angoisses : c'était la faim, une faim excessive, maladive, presque animale. Ces pau- vres gens, pleins de soins et de sollicitude pour nous , m'avaient communiqué un mal qui explique ce phénomène, et qu'une pctite-maîlresse n'avouerait pas avoir subi même dans son enfance. Mais la vie a ses vicissitude*, et quand ma mère se désolait de voir mon petit frère et moi dans cet état, les soldats et les cantinières lui disaient en riant : « Bah ! ma petite dame, ce n'est rien , c'est un brevet de santé pour toute la vie de vos enfants; c'est le véritable baptême des enfants de la giberne. »

La gale, puisqu'il faut l'appeler par son nom, avait com- mencé par moi, elle se communiqua à mon frère, puis à ma mère plus tard , et à d'autres personnes auxquelles nous apportâmes ce triste fruit de la guerre et delà misère, heureusement affaibli en nous par des soins extrêmes et un sang pur.

En quelques jours, notre sort avait bien changé. Ce n'était plus le palais de Madrid, les lils dorés, les t:ipis d'Orient et les courtines de soie; cM'taient des charrettes immondes, des villages incendiés, des villes bombardées, (les routes couvertes de morts , des fossés où nous cher- chions une goutte d'eau pour étancher une soif brùlanfe, et où l'on voyait tout à coup surnager des caillots de sang. C'était surtout l'horrible faim et une disette de plus en plus menaçante. Ma mère supportait tout cela avec un grand courage, mais elle ne pouvait vaincre le dégoût que lui inspiraient les oignons crus , les citrons verts et la