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210 HISTOIRE DE MA VIE

de son affection. On comprendra, par la nature de cette (Catastrophe, ce qu'il y a de fatal et d'effrayani dans les plaisanteries de celte lettre à propos de Vindomptable Lco- parclo d'Andalousie.

Celait Ferdinand Vil, le prince des Asluries, alors plein de {révenances pour Murât et ses officiers, qui avait fait don de ce terrible cheval à mon père, à la suite d'une mission que celui-ci avait remplie, je crois, près de lui à Aranjuez. Ce fut un présent funeste et dont ma mère, par une sorte de fatalisme ou de pressentiment, se méfiait et s'effrayait sans pouvoir décider mon père à s'en défaire au plus vite, bien qu'il avouât que c'était le seul cheval qu'il ne put monter sans une sorte d'émolion. C'était pour lui une raison de plus pour vouloir s'en rendre maître et il trouvait du plaisir à le vaincre. Pourtant il lui arriva un jour de dire : « Je ne le crains pas, mais je le monte mal, parce que je m'en méfie, et il le sent. »

Ma mère prétendait que Ferdinand le lui avait donné avec l'espérance qu'il le tuerait. Elle prétendait aussi que, par Imnii contre les Français, le chirurgien de Madrid qui l'avait accouchée avait crevé les yeux, de son enfant. Elle s'imHginiiit avoir vu, dans l'accablement qui suivit le pa- roxysme de sa souffrance, ce chirurgien appuyer ses pouces sur les deux yeux du nouveau-né, et qu'il avait dit entre ses dénis : Celui-là ne verra pas le soleil de l'Espagne.

11 est pcs-ible que ce fût une hallucination de ma pauvre mère, et pourtant, au point où en élaii nt les choses à cette épcjuc, il eï«t également possible que le fait se soit accompli, conmie elle avait (ru le voir, dans un moment rapide où le chirurgien se serait trouvé seul dans l'appar- tement avec elle, cl comptanl sans doute qu'elle était hors d'éUit de le voir et do rcntcndre; mais on pense bien que je ne prends pas sur moi la responsabilité de cette terrible accusation.